Cristallographie et rayons X : un peu d'histoire (Nita Dragoe)

Les premières problématiques proches de la cristallographie apparaissent dès 1606 lorsque Kepler cherche à optimiser le chargement de boulets de canon sur un bateau et met en évidence qu'un empilement hexagonal des sphères serait le plus efficace. La notion de compacité maximale émerge.

Quelques années plus tard, Nicolas Sténon énonce la loi de constance d'angles dans les cristaux de roches. J.B. Louis de Romé de l'Isle (1736-1790) dans son cabinet de curiosités généralise la loi de la constance des angles. C'est René Just Haüy (1743-1822) qui énonce la loi des indices rationnels et définit les mailles élémentaires ; il devient le père de la cristallographie moderne.

À partir de cela les choses s'accélèrent pour la cristallographie. En 1842, Auguste Bravais définit les 14 réseaux cristallins fondamentaux et en 1879, Sohncke établit les 65 groupes chiraux présents dans les cristaux selon la définition des groupes de Marie E. C. Jordan. En 1892, les travaux de Schönflies et de Federov permettent de définir 230 groupes d'espace. La cristallographie descriptive est complète. En 1930, les travaux du mathématicien allemand Ludwig August Seeber vont permettre de développer des mailles réduites et d'établir un système de « réduction » pour arriver à des systèmes cristallographiques uniques.

Parallèlement, le tube de Geissier (1857) et le tube de Crookes (1869) permettent l'étude des rayons cathodiques, capables notamment de provoquer une fluorescence à quelques centimètres de la sortie du tube. En novembre 1895 Wilhelm Röntgen observe de la fluorescence à plus de deux mètres d'un tube cathodique. Elle est causée par une radiation inconnue, différente des rayons cathodiques, qui arrive à pénétrer la matière : Röntgen la baptise « rayons X ». Avant Noël 1895, il réalise la radiographie de la main de sa femme Bertha qui en voyant ses os croit voir sa mort ! Le cliché de la main de Bertha Röntgen fait la une des journaux et Röntgen se retrouve extrêmement sollicité par l'opinion publique. Cependant, il refuse de breveter son invention qui selon lui doit appartenir à l'humanité. Il obtiendra le premier Prix Nobel de Physique en 1901.

Lorsque les médecins sont incapables de détecter, avec un détecteur à métaux, une balle restée dans le corps du président des États-Unis J. A. Garfield, il devient évident que la médecine a besoin d'équipements plus performants et plus sensibles. En 1896, Edison développe la radiographie médicale. Le public se prend d'engouement pour ces équipements ; il était possible à l'époque de passer dans une machine à rayons X pour quelques centimes (X-ray slot machine, Chicago). En 1904, une méthode publiée par Reese permettait de dépigmenter la peau noire grâce à une cure d'irradiation de 15 minutes par jour ! Bien heureusement, la découverte des dangers des rayons X est faite peu de temps après grâce à une étude montrant l'altération des tissus irradiés.

C'est à cette même époque que se font les grandes découvertes de la cristallographie moderne. Trois insituts de Munich ont contribué a ces découvertes : Minéralogie et Cristallographie (dirigé par Groth), Physique théorique (Sommerfeld) et Physique expérimentale (Röntgen). La première image en transmission d'un cristal de ZnS permet de découvrir les interférences (publié par Friedrich, Knipping et Laue en 1912. Laue Prix Nobel en 1914). Les Bragg père et fils, grâce à leur diffractomètre, publient la structure du diamant en 1912. Lawrence Bragg reste le plus jeune lauréat du Prix Nobel, qu'il a reçu à 25 ans.

Plus récemment, Perutz (Prix Nobel de Chimie en 1962) établit grâce à la cristallographie la structure de la première protéine, la myoglobine. Hodgkin par la suite publie la structure de la vitamine B-12, après 2 ans de travail et de transformées de Fourier faîtes à la règle à calcul !

Diffraction cohérente des rayons X ou comment étudier les cristaux à travers leurs défauts

La présentation commence avec une citation de Frederick Charles Frank (1911-1998) : « Les cristaux sont comme les humains, ce sont leurs défauts qui les rendent intéressants »... mais il ne doit pas trop y en avoir !

Qu'est-ce qu'un défaut ? L'explication est donnée par Vincent Jacques à l'aide d'un empilement de billes, d'abord bien arrangé, représentation d'un cristal parfait, qui subit ensuite un choc. Apparaissent alors de nombreux défauts, classés en différentes catégories : les lacunes et les interstitiels (dimension 0), les dislocations et les désinclinaisons (dimension 1), les empilements et les défauts de surface (dimension 2) ainsi que les précipités (dimension 3).

Comment les voir ? Mathématiquement, la transformée de Fourier d'un cristal parfait est un hexagone. Au fur et à mesure que des défauts apparaissent, la symétrie du cristal est brisée et la transformée de Fourier se modifie jusqu'à devenir un cercle. Plusieurs techniques sont disponibles pour obtenir physiquement une image de cette transformée : microscopie électronique (destructive, car elle nécessite un échantillon mince) ; sonde de surface (restreinte à la surface) ; diffraction des rayons X (peu adaptée aux défauts cristallins car sensible aux valeurs moyennes) ; enfin, la diffraction des rayons X avec faisceau cohérent.

Qu'est-ce qu'un faisceau cohérent ? La longueur de cohérence est égale à la longueur d'onde multipliée par la distance source-échantillon et divisée par la taille de la source (λ*D/d). Un synchrotron permet par exemple d'obtenir de grandes longueurs de cohérence grâce à la longue distance source-échantillon, malgré une source non-ponctuelle. Un faisceau cohérent est un faisceau monochromatique dont la longueur de cohérence est plus grande que l'objet à étudier. L'utilisation d'un faisceau cohérent permet d'obtenir la vraie transformée de Fourier de l'échantillon, contrairement aux valeurs moyennées obtenues en diffraction classique.

Un rayon diffracté au niveau d'une dislocation est déphasé de π, les interférences de ce rayon avec les autres rayons sont donc modifiées. Au lieu d'une tache de Bragg qui correspond à un maximum d'intensité créée par une interférence constructive, on observe un dédoublement de la tache avec un minimum d'intensité au centre.

Vincent Jacques montre comment cette méthode peut être validée par l'étude d'un cristal de silicium dans lequel on a volontairement introduit des lignes de dislocation. La diffraction cohérente permet de localiser ces lignes et de quantifier, par exemple, la distance qui les sépare.

Cette méthode se prête à de nombreuses applications, comme l'étude d'un « cristal d'électrons ». Lorsque certains matériaux sont refroidis, il s'y produit une distorsion périodique de la densité électronique qui se comporte comme un cristal, indépendant du cristal d'atomes sous-jacent. La diffraction cohérente permet d'observer des défauts dans ce cristal d'électrons qui expliquent notamment ses propriétés de conduction électrique.

La diffraction cohérente des rayons X est une technique encore jeune qui va se développer dans les prochaines années en bénéficiant notamment des progrès des sources de rayons X, comme les synchrotrons et les lasers à électrons libres.

Forme d'équilibre des cristaux et des quasi-cristaux

Pierre Pansu illustre ce que les mathématiques peuvent apporter à la cristallographie par deux exemples : les formes d'équilibre et les quasi-cristaux.

Pour expliquer les formes d'équilibre des cristaux, il commence par proposer des jeux liés aux surfaces minimales. Avec trois types de pavages différents (triangulaire, carré, hexagonal) il faut chercher la disposition qui donne le périmètre minimal pour une aire donnée. Dans les trois cas, la forme tend vers un hexagone.

Ensuite, il montre la minimisation de surface par un film de savon : une ficelle est tendue dans un cercle ; lorsqu'un film de savon est créé d'un côté de la ficelle, celle-ci prend la forme d'un arc de cercle, preuve de la tension que le film de savon exerce. De même que pour les films de savon, les formes d'équilibre des cristaux correspondent à des surfaces minimales. Un théorème donne un résultat analogue aux hexagones obtenus en deux dimensions : il établit que les formes d'équilibre tridimensionnelles tendent vers des polyèdres.

Un autre théorème se rapporte aux symétries possibles d'un cristal. Si un arrangement périodique de points est conservé par rotation ou vissage, alors l'angle de rotation est nécessairement π/3 ou π/2. Ceci correspond bien aux observations des cristallographes, qui savent que les figures de diffraction de rayons X par des cristaux présentent typiquement des symétries d'ordre 3, 4 ou 6 correspondant à ces angles.

Toutefois, en 1982 une exception au théorème semble apparaître. Dan Shechtman observe en effet une figure de diffraction avec des angles de rotation de π/5, en principe interdits. Le nouveau solide n'est cependant pas périodique mais quasi-périodique, cette quasi-symétrie étant suffisamment prononcée pour apparaître en diffraction X. Ce solide est appelé quasi-cristal. Un cristal étant jusque-là défini comme un solide à structure périodique, une nouvelle définition est adoptée en 1992 pour inclure les quasi-cristaux : un cristal est dorénavant un solide dont la figure de diffraction est formée de taches.

Un modèle mathématique permet de prendre en compte la quasi-périodicité en la décrivant comme la trace en dimension 3 d'un phénomène périodique de dimension 6. En effet, en dimension 6 il existe des dispositions périodiques invariantes par rotation de π/5, angle que l'on retrouve en projetant ces formes dimension 3.

Comment un phénomène de dimension 6 peut-il apparaître en dimension 3 ? On peut le comprendre à l'aide de la projection orthogonale sur une droite d'un maillage périodique en dimension 2. Selon l'angle que fait la droite avec les directions privilégiées du pavage, la projection sur la droite peut faire apparaître une quasi-périodicité.

Finalement, on peut se demander quelle est la forme d'équilibre d'un quasi-cristal ? Elle tend vers un polyèdre présentant une symétrie d'ordre 5, qui peut être un icosaèdre ou un dodécaèdre.

Dynamiques structurales ultra-rapides induites par impulsion laser (Claire Lhaulé)

La diffraction des rayons X est un outil de choix pour analyser la structure de la matière cristalline. Parallèlement aux sources disponibles dans les laboratoires, les chercheurs peuvent avoir accès aux rayons X générés dans les centres de rayonnement synchrotron comme SOLEIL, implanté sur le plateau de Saclay. Il existe une soixantaine de sources de rayonnement synchrotron dans le monde, SOLEIL faisant partie de la dernière génération et délivrant un faisceau particulièrement intense et brillant.

L'une des lignes de lumière de SOLEIL, baptisée CRISTAL, est dédiée à l'étude des matériaux par diffraction des rayons X. Les scientifiques de diverses disciplines peuvent y apporter leurs échantillons à analyser, la ligne étant équipée de plusieurs diffractomètres.

Une des réalisations techniques originales de la ligne CRISTAL est la possibilité de synchroniser sur une même expérience un laser émettant dans le proche infrarouge et les rayons X émis par SOLEIL. Le faisceau laser ainsi que le faisceau X synchrotron présentent une structure temporelle pulsée. Les impulsions produites ont une durée de 25 femtosecondes (25 fs = 25.1015 s) pour le faisceau laser, 100 fs dans le régime le plus court pour le faisceau de rayons X (ce qui nécessite un travail optique sur le faisceau initial dont la durée d'impulsion est de 70 000 fs). Cette combinaison laser + synchrotron donne la possibilité de mettre en place des expériences « pompe-sonde » : le faisceau laser provoque l'excitation des électrons de la matière. Puis, après un délai contrôlé et variable, le faisceau de rayons X est utilisé pour imager par diffraction le nouvel état de la matière.

L'énergie des photons formant le faisceau laser dans le proche infrarouge est du même ordre de grandeur que l'énergie de liaison des électrons de valence dans la matière : le faisceau laser provoque donc en premier lieu des transitions électroniques. Lorsqu'un cristal est soumis à une impulsion laser d'une dizaine de fs, les électrons de valence changent d'état quantique alors que les noyaux n'ont pas le temps de bouger. On provoque ainsi un état « hors équilibre » que l'on cherche à étudier. L'énergie acquise par le cristal va ensuite être progressivement transférée des électrons vers le réseau des liaisons atomiques pour finalement être dissipée sous forme de chaleur.

Il est possible grâce à la méthode pompe-sonde d'étudier la propagation d'une onde de choc dans un cristal. Le laser est utilisé pour exciter un cristal d'antimoniure d'indium (InSb) perpendiculairement à sa surface. Le laser ne pénètre pas de plus de 50 nm au-delà de la surface. Les images de diffraction enregistrées à différents délais de l'excitation initiale montrent que le laser induit une dilatation thermique des premières couches en surface : le paramètre de maille augmente. En réaction, des zones de compression se déplacent à l'intérieur du cristal à la vitesse du son. En quelques centaines de picosecondes, l'énergie apportée par le laser est dissipée dans le matériau.

La technique pompe-sonde permet également d'étudier des phénomènes à une échelle de temps plus courte que la picoseconde, en particulier les vibrations atomiques dans les cristaux. Le cristal de TaS2 est un composé lamellaire. À haute température (> 540 K), les atomes de tantale (Ta) forment des plans hexagonaux. À basse température (< 180 K) il se produit des modulations dans la structure de ces plans, faisant apparaitre des assemblages en forme d'étoile de David. L'expérience pompe-sonde permet de mettre en évidence une vibration collective particulière des étoiles de David, appelée « respiration ».

Un autre exemple est celui d'un cristal moléculaire organométallique à base d'un atome de fer. L'excitation des électrons d de l'atome de fer par le faisceau laser va induire un changement de la distance du fer avec ses ligands et provoquer le gonflement de la molécule. Ce phénomène a un temps caractéristique de 170 fs.

La résolution de 100 fs pour le faisceau de rayons X du synchrotron est déjà une prouesse technologique. Pour accéder à la dynamique de phénomènes encore plus rapides, il faut utiliser d'autres « grands instruments », les lasers à électrons libres, qui délivrent des impulsions de rayons X de 10 fs.

La cristallographie au quotidien (Raphaël Haumont)

La cristallographie est bien sûr un sujet de science, mais les cristaux et quasi-cristaux sont présents dans notre quotidien, et sous des formes très souvent inattendues. Les structures cristallographiques se retrouvent parfois dans la forme des objets qui nous entourent, c'est le cas du ballon de football proche du pavage caractéristique d'une molécule de fullerène.

Les cristaux se retrouvent parfois à nos doigts ou à nos cous. Les pierres précieuses sont des cristaux avec un indice de réfraction très élevé (autour de 2,5), ce qui leur donne leur éclat si apprécié des joailliers. La beauté de la pierre peut être renforcée en réalisant une taille précise, autour des axes du cristal. Les connaissances des structures cristallographiques ont donc des applications jusque dans le monde de la joaillerie !

Le diamant, roi des pierres précieuses, a en réalité la même formule chimique que le graphite que l'on trouve dans les crayons à papier. Entre le diamant et le graphite, seule la structure cristallographique change ; ce sont des formes allotropiques. Le diamant, si rare, est une forme instable du carbone dans les conditions de pression et de température usuelles qui présente une forte symétrie locale.

Il est étonnant de remarquer que la couleur observée dans les pierres précieuses provient en réalité d'impuretés présentes dans leur structure cristallographique. Le rubis doit sa couleur rouge à la présence de cations de chrome dans les sites interstitiels de sa structure de Al2O3. Le même Al2O3 en présence de fer ou de titane donnera la couleur bleue du saphir. La présence d'impuretés fait la rareté de la pierre précieuse, car le matériau de base est un oxyde d'aluminium très commun. De manière assez surprenante, si le cristallographe s'intéresse à la pureté des structures, le joaillier recherche ses impuretés !

Il existe bien sûr des cristaux moins précieux, comme les flocons de neige. Le cristallographe sait qu'il existe pas moins de dix formes cristallines pour l'eau, se formant dans des conditions de pression et de température différentes. Le cristal de glace qui va se former sur le hublot d'un avion en vol sera bien différent du flocon de neige tombant au sol. Ces différentes formes allotropiques peuvent être représentées sur un diagramme de phase.

Deux composés chimiques peuvent avoir la même formule brute mais des propriétés différentes, comme dans le cas des énantiomères. Par exemple, la R-carvone est très appréciée dans les chewing-gums pour son goût de menthe alors que son énantiomère, la S-carvone a elle un goût de cumin. Il est possible de distinguer deux énantiomères, pourtant structuralement très proches, sous forme cristalline. C'est ce que fit Pasteur en isolant à la main les cristaux des deux énantiomères de l'acide tartrique !

Raphaël Haumont conclut son exposé en nous parlant d'un cristal susceptible de nous mettre l'eau à la bouche : le chocolat. Le chocolat contient notamment une molécule de type acide gras qui peut exister sous quatre formes cristallines différentes. La forme allotropique nommée β intéresse tout particulièrement les chocolatiers. En effet, à 35°C la forme β est stable : elle va fondre dans la bouche et non dans la main des gourmands. Cette forme cristalline est aussi très brillante et très dense car ses plans cristallographiques sont mieux définis que dans les autres formes. Cela va aider le chocolatier lors de l'étape cruciale du démoulage.

Le processus du tempérage du chocolat, enseigné aux apprentis chocolatiers pour obtenir un beau chocolat brillant, n'est en réalité qu'un processus de germination/croissance afin de favoriser la forme cristalline β.

Cristallographie des surfaces avec des atomes rapides (Philippe Roncin)

Dans un cristal, la surface est un objet d'étude bien particulier. En effet, les atomes de la surface n'ont pas le même environnement que les atomes du volume : il leur manque des voisins. Par conséquent, ils n'adoptent pas le même arrangement périodique que celui du cristal. On parle de reconstructions de surface.

La surface d'un solide cristallin peut être « fonctionnalisée » en y déposant des « couches minces », à savoir des empilements de quelques couches atomiques qui vont lui donner des propriétés nouvelles ; c'est particulièrement le cas pour les semi-conducteurs utilisés en micro-électronique. On peut aussi déposer des molécules organiques qui confèrent à la surface une nouvelle réactivité chimique ou qui peuvent assurer certaines fonctions dans le cadre d'un dispositif d'électronique moléculaire.

Par conséquent, il est très utile de disposer de méthodes permettant l'analyse de l'arrangement cristallin en surface, ce que ne permettent pas facilement les rayons X classiquement utilisés en cristallographie car ils sont sensibles à l'ensemble des atomes du volume, le signal issu de la surface est très faible.

L'expérience GIFAD (Grazing Incidence Fast Atom Diffraction) utilise des atomes d'hélium accélérés comme sonde de la surface. Ces atomes d'hélium sont envoyés en incidence rasante sur la surface et en raison de la dualité onde-corpuscule qui permet de leur associer une très courte longueur d'onde, ils subissent un phénomène de diffraction de la part des sillons réguliers des atomes de la surface. De par leur nature différente des rayons X, les atomes d'hélium ne pénètrent pas dans le volume et permettent donc d'imager seulement la surface. Ils ne provoquent pas non plus de dégâts sur la surface étudiée : envoyés en incidence rasante, ils l'effleurent à peine.

L'analyse de la figure de diffraction permet de remonter à la densité électronique en chaque point de la surface avec une précision de l'ordre du picomètre (1012 m). De cette densité, on peut déduire la position des sillons atomiques sur la surface. Ces résultats sont proches de ce que l'on obtiendrait en déplaçant la pointe d'un microscope à force atomique au-dessus de la surface mais au lieu de construire une image point par point, on acquiert l'ensemble de l'image en une seule fois pour des domaines proches du cm2. Par conséquent, quelques secondes suffisent pour cartographier une surface, ce qui ouvre le champ à des applications « en temps réel ». Cette technologie, découverte à l'Université Paris-sud, a donné lieu à un brevet.

Le dispositif GIFAD est relativement compact et il a pu être installé à l'Institut des Nanosciences de Paris sur un bâti servant à la déposition des couches minces de semi-conducteur sur une surface pour la micro-électronique (technique d'épitaxie par jet moléculaire). La diffraction des atomes d'hélium permet d'observer le dépôt des couches une par une, sans avoir besoin d'interrompre le processus de déposition. Il est ainsi possible de compter le nombre de couches et de les caractériser une à une au fur et à mesure de la déposition. La technique pouvant être utilisée à haute température, il est également possible de suivre les transitions de phase et les reconstructions.

L'interprétation simple et la rapidité d'acquisition des données de GIFAD pourraient faire qu'à terme la croissance soit pilotée en temps réel grâce aux images obtenues et un tel process est en cours d'adaptation à l'échelle industrielle.

Les assemblages minéraux des roches caractérisés par la cathodoluminescence (Jocelyn Barbarand)

Comment voir simplement si une roche est composée de différents minéraux ? Une technique permet de le faire : c'est la cathodoluminescence. Elle consiste à bombarder la matière avec des électrons et à observer les photons qui sont alors réémis à l'aide d'un microscope optique équipé d'une platine assurant un vide. Une caméra est adaptée sur le microscope et permet de photographier les observations. Il est également possible d'utiliser un microscope électronique à balayage et d'adapter un spectromètre à la sortie pour réaliser des images sur l'échantillon à longueurs d'onde choisies.

Voilà pour la méthode. Maintenant voyons quelques exemples. La couleur d'un minéral en cathodoluminescence est due principalement à ses impuretés. Par exemple le manganèse donne une couleur jaune au minéral de fluoroapatite. Les terres rares sont également très souvent à l'origine des teintes observées dans les minéraux lumibescents. On appelle ces éléments des activateurs et ils participent à la luminescence extrinsèque. Dans l'aragonite et la calcite le pic principal d'émission de la lumière est également dû au manganèse et donne une couleur orange ou jaune aux minéraux. Des éléments, les inhibiteurs, vont au contraire inhiber la luminescence. Le fer dans les carbonates est l'exemple le mieux étudié et plutôt que la teneur en Mn, c'est le rapport Mn/Fe qui contrôle les teintes observées. De subtiles variations de la concentration en Mn et en Fe dans les fluides à l'origine des minéraux peuvent ainsi être mises en évidence.

Un autre exemple caractéristique est donné par les impuretés dans le quartz. Quand on le soumet à la cathodoluminescence on obtient des images avec plusieurs couleurs ce qui montre qu'il y a des minéraux originaires de plusieurs sources. Notamment dans l'exemple qui nous est proposé la couleur bleue correspond à une substitution de Si par Al tandis que la couleur rouge est dûe à des atomes d'oxygène non liés. Dans ce cas on parle de lumière intrinsèque. On peut aussi à partir des spectres totaux déterminer la composition, la teneur en minéraux d'une roche et même être quantitatif. L'inconvénient c'est que le spectre va varier en fonction du temps d'analyse et changer de forme. Il faut donc être rapide et conscient de ces évolutions.

Les applications de cette technique sont nombreuses. On peut reconnaître les différents minéraux, identifier des microstructures ou encore avoir accès à la distribution des éléments traces . On peut aussi reconstituer des processus géologiques en pouvant reconnaître différentes générations de minéraux.

Ainsi pour le quartz on peut répondre à la question de leur origine. Si le quartz est plutôt bleu alors c'est probablement un quartz d'origine plutonique alors que s'il est d'origine métamorphique il sera plutôt rouge. On peut détecter les phases à l'intérieur de ce quartz qui n'ont pas la même composition chimique.

Dans un cristal de fluorite dont la maille est cubique, on peut voir une face bleue et une face noire, ce qui montre qu'il y a des différences de composition chimique. Si on fait le spectre on obtient un spectre dans le vert et un dans le violet et on peut déterminer quels sont les éléments présents en présence grâce aux pics des spectres et quantifier relativement les différents éléments chimiques.

D'autres exemples d'application de la cathodoluminescence sont de déterminer la nature du fluide à l'origine d'un minéral, l'identification des différentes phases de ciment dans la calcite ou l'analyse de distribution des terres rares.

La cathodoluminescence est donc une méthode très utilisée pour caractériser la minéralogie des roches. Elle permet d'obtenir de très nombreuses informations sur la nature des minéraux, sur leur processus de croissance, sur leur origine et permet de les replacer dans l'histoire de la formation de la roche.

Cristallographie et matière molle

Il peut sembler paradoxal d'associer la cristallographie, étude de structures régulières, à la matière molle, qui évoque des assemblages mouvants. Pourtant, des éléments de taille nanométrique s'assemblent parfois spontanément en des structures semblables à des cristaux, susceptibles de diffracter les rayons X. Conformément à la loi de Bragg, les angles de diffraction associés à ces éléments supramoléculaires sont plus petits que ceux associés à des atomes, et l'on parle alors de « diffusion aux petits angles ». Marianne Imperor décrit deux exemples de tels matériaux nanostructurés obtenus par auto-assemblage.

Le premier est constitué de nanoparticules d'or en suspension dans un solvant. Si l'on greffe sur les particules des molécules organiques bien particulières, adaptées au solvant, les particules vont se répartir en structures stables. Quand leur concentration est suffisante, elles s'organisent à grande échelle selon différents modèles parfaitement analogues à des cristaux. Sur un cliché de diffraction X se superposent alors deux figures : aux grands angles, la diffraction causée par les atomes d'or à l'intérieur de chaque nanoparticule ; aux petits angles, celle due à l'arrangement régulier des nanoparticules.

Au-delà des nanoparticules classiques, en forme de sphères ou de bâtonnets, l'équipe de Marianne Imperor s'est intéressée à des fils d'or de quelques nanomètres de diamètre et plusieurs micromètres (milliers de nanomètres) de long. Munis de molécules organiques convenables, ces fils s'organisent en faisceaux parallèles. La diffraction X fait donc apparaître la structure cristalline de l'or dans la direction des fils, et une organisation périodique à deux dimensions dans la direction perpendiculaire. Grâce au synchrotron SOLEIL qui permet des mesures très rapides, on peut suivre en temps réel la croissance des fils et leur auto-organisation. Pour étudier plus spécifiquement la phase organique qui stabilise l'édifice, on utilise la diffusion des neutrons qui peut faire ressortir cette phase par rapport à l'or et au solvant.

Un autre exemple de cristallographie issue de la matière molle est fourni par des matériaux « mésoporeux » dans lesquels des cavités de taille nanométrique se répartissent en structures périodiques. Grâce à leur grande surface d'échange (1000 m²/g) ces matériaux servent à fabriquer des membranes ou des supports de catalyseurs, et il est important de pouvoir contrôler précisément la taille et la répartition de leurs pores. On les obtient à partir d'une solution de molécules organiques tensio-actives. Dotées d'une « tête » hydrophile et d'une « queue » hydrophobe, elles se regroupent spontanément en petits agrégats sphériques, ou micelles. Il reste à synthétiser au sein du solvant de la silice amorphe, solide, puis à éliminer les micelles organiques qui laissent des pores très réguliers. Selon les conditions de cette synthèse, la disposition des pores peut adopter toutes sortes de structures périodiques à deux ou trois dimensions, mises en évidence par la diffusion des rayons X aux petits angles. Une découverte surprenante de 2012 est qu'ils peuvent même adopter un ordre de type quasi-cristallin avec une symétrie d'ordre 12, impossible pour un cristal classique. Une autre particularité de ces matériaux nanostructurés se manifeste à plus grande échelle : les grains de poudre qui les composent peuvent prendre des formes inhabituelles, comme des tores.

Ces exemples montrent bien comment l'auto-assemblage, qui est la cristallisation d'objets supramoléculaires, fait intervenir à la fois la chimie organique et inorganique.

La diffraction des rayons X sur monocristal : un « flash code » pour la chimie moleculaire – Dr Régis GUILLOT (ICMMO) – Dr Pascal RETAILLEAU (ICSN)

Quelle est la structure du collibolide, un antimigraineux ? Comment le taxol se lie-t-il à sa cible, la tubuline, pour bloquer la division des cellules cancéreuses ? A quoi ressemblent les calixarènes ? Telles sont quelques questions auxquelles la radiocristallographie –ou « diffraction des rayons X »– est capable de répondre : en effet elle permet de trouver comment sont disposés dans l'espace les atomes d'une molécule ou d'un assemblage plus complexe.

Haut lieu de cette technique, l'ICSN, Institut de Chimie des Substances Naturelles au CNRS de Gif-sur-Yvette s'est rendu célèbre par la mise au point de deux anticancéreux, le taxotère et la vinblastine. Son service de radiocristallographie détermine des structures pour des chercheurs locaux ou extérieurs. A la faculté des Sciences, l'ICMMO, Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d'Orsay, possède également un service de diffraction des rayons X.

Comment fonctionne cette technique ? Tout d'abord il faut que les molécules étudiées soient cristallisées sous forme de monocristal. Ensuite, des rayons X viennent bombarder le monocristal et interagir avec les électrons des atomes constituant les molécules. Ceux-ci dispersent le rayonnement, de façon variable suivant la direction : le dispositif de détection affiche alors une « figure de diffraction » où alternent des pics d'intensité lumineuse et des zones noires – d'où l'analogie du « flash code », identifiant de façon unique une structure moléculaire. Une méthode mathématique (transformation de Fourier) et des calculs informatiques permettent de remonter à la répartition des électrons dans le cristal. On en déduit comment sont disposés les atomes dans la molécule.

Figure de diffraction des Rayons X par un monocristal : une sorte de "flash-code" associé à la structure tridimensionnelle d'une molécule.
Regis Guillot, ICMMO
Figure de diffraction des Rayons X par un monocristal : une sorte de « flash-code » associé à la structure tridimensionnelle d'une molécule.

Comprendre la structure 3D des molécules constitue un but en soi pour le chimiste : or la radiocristallographie permet de déterminer très précisément les longueurs et les angles de liaisons entre atomes dans les molécules. Connaître les structures moléculaires compte de plus de multiples applications.

Quatre champs d'activité sont présents à l'ICSN : la prospection et l'isolement des substances naturelles d'origine végétale, marine, micro-organismes,..., la caractérisation structurale, la détermination de l'intérêt biologique (antitumoral, anti-inflammatoire...), la mise au point de synthèses de molécules naturelles ainsi que la compréhension de leur biosynthèse.

L'ICSN en 1959 sur le campus CNRS de Gif-sur-Yvette.
ICSN-CNRS
L'ICSN en 1959 sur le campus CNRS de Gif-sur-Yvette.

A l'ICSN, la radiocristallographie est une longue histoire, depuis 1959 et notablement la détermination de la structure du collibolide en 1971 par Claudine Pascard. Un exemple d'application de cette technique est l'étude des interactions entre molécules. Sans elles, pas de cristaux ! Elles interviennent aussi dans la conception de médicaments (« drug design »). Ainsi, la radiocristallographie a démontré comment le taxol ou son dérivé synthétique, le taxotère, l'un des médicaments mis au point à l'ICSN, se fixe sur la tubuline, une protéine intervenant dans la division cellulaire.

Fixation du taxol sur la tubuline.
ICSN - CNRS
Fixation du taxol sur la tubuline.

Visualiser des assemblages complexes issus de la « chimie supramoléculaire » est également possible : association entre une molécule-cage et une molécule piégée, auto-organisation de molécules pour former des superstructures. Autre application, la caractérisation de molécules fluorescentes ouvre des horizons prometteurs dans le secteur photovoltaïque organique ou des sondes biologiques. Des recherches sont par ailleurs menées pour améliorer encore cette technique.

A la faculté des Sciences d'Orsay, l'ICMMO héberge également un diffractomètre à rayons X, qui a conduit à la détermination de 1954 structures parues dans 128 publications. Parmi les exemples d'application figure la visualisation d'acides aminés chiraux, d'hélices de β-peptides stabilisées par des liaisons hydrogènes, de calixarènes, sortes de « molécules-cages », ou encore de la structure de catalyseurs chiraux – des espèces accélérant la synthèse de molécules elles-mêmes chirales.

Calixarène, sorte de "molécule-cage" encapsulant ici deux molécules de solvant.
Regis Guillot, ICMMO, Faculté des sciences d'Orsay
Calixarène, sorte de « molécule-cage » encapsulant ici deux molécules de solvant.

En 2014, le service s'est doté d'un nouveau diffractomètre comportant deux sources de rayons X, un détecteur rapide et un refroidissement à très basse température (-245°C). Ainsi, la diffraction des rayons X permet de nombreuses avancées en recherche.

La biologie dans un cristal (Herman van Tilbeurgh)

Après avoir attiré notre attention sur le fait que la cristallographie en biologie s'intéresse à ce qu'il y a à l'intérieur du cristal, c'est-à-dire la protéine et non au cristal lui-même, Herman van Tilbeurgh nous raconte ce qui l'a amené à s'intéresser à la cristallographie des protéines. Il a débuté en voulant en savoir plus sur la structure d'une cellulase, une enzyme qui dégrade la cellulose. Lorsque l'équipe a réussi à cristalliser cette enzyme, il a été possible de voir l'interaction de la cellulose avec les groupements catalytiques de l'enzyme, ce qui était difficilement imaginable à l'époque.

Après cette introduction, nous prenons le fil de l'historique des avancées de la cristallographie des protéines. En 1840, ce sont les débuts de la cristallisation de l'hémoglobine et pendant un siècle il ne se passe plus grand-chose. En 1920 les biologistes chimistes cristallisent l'uréase et montrent que les cristaux ont une activité catalytique. En 1929 J. Northrop obtient de la pepsine à l'état cristallisé. En 1934, JD Bernal obtient les premiers clichés de diffraction des rayons X sur la pepsine. En 1946, le prix Nobel de chimie vient récompenser J. Northrop et W. Stanley pour leur purification des protéines. Puis J. Kendrew et M. Perutz résolvent la structure à haute résolution de la myoglobine. Ils recevront en 1962 le prix Nobel de chimie pour ces travaux.

Faisons une petite parenthèse sur la nature des cristaux de protéines. En général ils sont très petits et fragiles. Ils contiennent une forte concentration de solvant (parfois jusqu'à 80%) et ils sont obtenus par des approches empiriques. Les développements méthodologiques à la base du succès de la cristallographie des protéines sont divers. La possibilité de faire des substitutions d'atomes avec des métaux comme le sélénium a permis d'améliorer l'analyse des taches de diffraction aux rayons X qui vont permettre d'obtenir la structure. La production de protéines par les techniques recombinantes, c'est-à-dire où l'on fait produire à des organismes simples comme les bactéries les protéines intéressantes en grande quantité, a facilité la purification de ces dernières.Quant au synchrotron il permet d'utiliser de plus petits cristaux car son faisceau est plus intense. Enfin l'idée de congeler les cristaux de protéines a permis d'augmenter leur durée de vie.

Notons qu'en France la première structure de protéine a été déterminée en 1982 sur le cytochrome C.

La cristallographie des protéines joue un rôle important pour la compréhension mécanistique et fonctionnelle du fonctionnement de la protéine. La détermination de la structure du lysozyme en 1980 par D. Philips a aidé à trouver son mode d'action.

Les techniques se sont ensuite encore raffinées avec par exemple l'apparition du Time Resolved Cristallography qui permet de démarrer la réaction chimique catalysée par l'enzyme par laser pendant qu'on analyse sa structure. On a ainsi pu suivre la dissociation du CO de l'hémoglobine. Cette technique ne permet d'analyser qu'un faible nombre de protéines.

Puis la cristallographie a changé la biologie : en 1953 J. Watson et F. Crick publient la structure de l'ADN et de cette découverte découle le dogme central de la biologie, la succession ADN, ARN, protéines pour le transfert d'information dans les cellules.

Ce n'est pas fini car en 2009 le prix Nobel a été attribué à des chercheurs ayant élucidé la structure des ribosomes, des structures biologiques essentielles contenant des ARN et de nombreuses protéines. La cristallographie des protéines a encore de beaux jours devant elle !

La cristallographie biologique aujourd'hui et demain (Jacqueline Cherfils)

Jacqueline Cherfils nous présente comment la cristallographie a pu jouer un rôle particulièrement important dans la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans la réponse d'une cellule à des stimuli extérieurs comme les odeurs, le son, la lumière, les drogues, les médicaments, les hormones ou les neurotransmetteurs. Elle souligne que cette propagation de l'information à travers la membrane cellulaire, impliquant notamment des récepteurs protéiques et des protéines G, est une cascade de réactions qui nécessite des changements de structures importants dans ces différentes molécules. Les récepteurs couplés aux protéines G jouent donc un rôle clé dans les communications entre les milliards de cellules de notre corps mais aussi avec le monde extérieur. En 2012 Brian Kobilka a reçu le prix Nobel de Chimie avec Robert Lefkowitz pour ses travaux spectaculaires de cristallographie, qui ont révélé la structure d'un récepteur activé et permis de comprendre comment il transmet des informations de l'extérieur de la cellule vers l'intérieur. C'est une percée essentielle, résultat de longues années de travail, avec de nombreuses conséquences dans le domaine médical et pharmaceutique.

Ces travaux, qui marquent à peu de temps près le 50ème anniversaire de la cristallographie biologique, rappellent qu'en même temps que naissait cette discipline avec les travaux pionniers de Max Perutz et John Kendrew, une autre révolution de la biologie se mettait en route, celle de l' « allostérie ». Ce concept, proposé au début des années 60 par Jacques Monod, François Jacob et Jean-Pierre Changeux, chercheurs de l'institut Pasteur, proposait que des informations puissent être transmises entre deux sites éloignés au sein d'une même protéine par des changements de conformation conduisant à des états fonctionnels différents. Il s'inspirait des toutes premières structures de protéines, celles de la myoglobine et l'hémoglobine résolues par Perutz et Kendrew qui leur valut le prix Nobel de Chimie en 1962. En particulier, le modèle proposait que les enzymes « allostériques » possèdent un axe de symétrie et soient composées de plusieurs sous unités protéiques identiques adoptant toutes la même conformation, s'inspirant probablement en cela de la structure de l'hémoglobine

La cristallographie biologique et le concept d'allostérie – ce « second secret de la vie » comme aimait à le qualifier Jacques Monod – allaient se croiser à de nombreuses reprises jusqu'à aujourd'hui, comme le présente Jacqueline Cherfils dans la suite de son exposé. Cela a notamment été le cas au Laboratoire d'Enzymologie et Biochimie Structurale à Gif-sur-Yvette, héritier du Laboratoire d'Enzymologie créé dans les années 60 par Georges Cohen, .qui fut un collaborateur de Jacques Monod et est un des pionniers dans l'étude des mécanismes de régulation allostérique. La conférence CNRS/Jacques Monod, « Twenty-five years of allostery »organisée par Joël Janin, professeur à l'Université de Paris XI qui devint directeur de ce laboratoire au début des années 90 et y introduisit la cristallographie des protéines, restera une date mémorable de ces deux histoires croisées.

Pour conclure, Jacqueline Cherfils montre qu'il y a aujourd'hui un renouveau du concept d'allostérie, dont la portée s'est élargie à l'ensemble des mécanismes de transmission d'information d'un site à un autre d'une protéine par des changements de conformations intramoléculaires induits par des ligands – ion, composé chimique, macromolécule ou même membrane. Ce renouveau doit vraisemblablement beaucoup à la cristallographie des protéines, qui a permis de visualiser ces changements de conformation à haute résolution. De nombreuses applications de ce concept sont actuellement pressenties, notamment dans la recherche de nouveaux médicaments.