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Les activités sportives : un domaine complexe riche en innovations

Les STAPS : des filières variées

En préambule au Jeudi de la Recherche, l’UFR de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) nous a été présentée par sa directrice, Christine Le Scanff. Nous retiendrons que la plus jeune UFR de l’Université Paris-Sud propose des formations à tout niveau (Licence, Master, Doctorat) et présente des infrastructures de recherche importantes, localisées à l’UFR STAPS et au Service de Rééducation du CHU Bicêtre).

La recherche au CIAMS

Côté recherche, un laboratoire unique, le CIAMS, regroupe 3 équipes de recherche (« Contrôle Moteur et Perception », « Risque, Intervention, Mouvement, Équilibre », « Sports, Politiques et Transformations Sociales ») et favorise les recherches pluridisciplinaires : neurosciences, biomécanique, psychologie, sciences sociales et enfin management sont étudiés. De plus, une cellule Recherche et Développement « Sport, Science et Innovation » a été constituée. D’après Christine Le Scanff, il s’agit d’un laboratoire « petit mais efficace » aux recherches multiples et variées. Nous avons pu nous en rendre compte grâce aux exposés de Messieurs Uhlrich et Gibas. Passer du rugby aux sports extrêmes paraît assez intuitif, mais y ajouter la théorie de l’activité humaine, de la psychologie et de la finance prouve l’étendue du savoir-faire développé au sein du CIAMS.

Etudiants enregistrant les paramètres d’un match de rugby

Le parcours de Gilles Uhlrich est complet : étudiant STAPS puis professeur d’EPS, thésard et enfin maître de conférence, il travaille à présent dans l’équipe RIME, « Risque, Intervention, Mouvement, Équilibre », en collaboration avec la Fédération Française de Rugby. Bien que le CIAMS travaille aussi en recherche fondamentale, Gilles Uhlrich nous dit s’intéresser plus à des travaux appliqués. Il développe en effet des outils d’observation du jeu de rugby en lien avec la théorie de l’activité humaine. Cette théorie des sciences humaines soutient que toute activité humaine met en relation un individu avec un objet complexe. Cet objet peut être un outil ou une situation. L’individu doit faire face à cette complexité mais aussi à une certaine incertitude et surtout à l’interactivité qu’exige une activité quelle qu’elle soit. Cette théorie est appliquée à la fois en ergonomie cognitive pour développer des outils respectant les nécessaires compromis Homme/machine, et en modélisation (par exemple dans les simulateurs de vol) pour prendre en compte tous les artéfacts cognitifs ou matériels pouvant perturber un sujet d’étude. En particulier, Gilles Uhlrich étudie la mondialisation du rugby : le jeu est-il le même dans tous les pays ? Y a-t-il eu des évolutions dans le temps ? Y en a-t-il encore ? Les évolutions constatées dans le rythme et volume de jeu au cours des quatre dernières coupes mondiales de rugby tendent à montrer que le rugby est un jeu vivant dont les joueurs sont capables de s’adapter à des règles qui évoluent. Ainsi, grâce à l’introduction d’un septième changement possible de joueur, les équipes sont à présent plus efficaces en deuxième mi-temps qu’elles n’étaient lors des coupes mondiales précédentes. Mais ces études permettent également de développer des logiciels d’observation du jeu qui aident à la formation des étudiants (qui apprennent à utiliser les outils adéquats pour analyser et décrire un mouvement ou une activité) aussi bien qu’à la prise de décision pour les entraîneurs. Car la connaissance du comportement humain en activité d’apprentissage et de la place du ressenti et du vécu est primordiale pour la formation de futurs professeurs de sport ou ergonomes.

Nous avons ensuite eu le plaisir d’écouter David Gibas. Pour nous mettre tout de suite dans l’ambiance, il lance une vidéo dans laquelle un sportif se jette du haut d’une falaise escarpée pour planer plusieurs minutes et survoler de magnifiques paysages : les images sont impressionnantes et notre cœur se serre lorsque l’on apprend que ce même sportif, à la suite d’une expérience du même type mais moins réussie, s’est retrouvé paralysé.
En thèse sur un sujet de psychologie du sport et de la performance, David Gibas travaille en effet sur les liens entre personnalité et prise de risque. Ainsi deux composants entrent en compte lorsqu’une personne décide (dans un acte volontaire) de prendre un risque, qu’il soit physique ou financier : l’individu lui-même et l’environnement.
L’environnement est souvent étudié comme suivant des probabilités stables, comme dans le cas d’un lancé de dés ou d’un tirage au sort, c’est-à-dire comme étant prévisible. Cependant, dans la vie réelle, nous faisons plutôt face à des situations pour lesquelles les probabilités sont inconnues voire incalculables, comme lorsque nous décidons de traverser une route.
D’autre part, l’individu serait soumis à deux sortes de régulations : émotionnelle et narcissique. La régulation émotionnelle nous permet d’identifier nos émotions et de les réguler seul, sans action extérieur de l’environnement. La régulation narcissique est la recherche de « feedback » positif : une action volontairement risquée devient un levier vers la réussite ou la performance sportive. Ces régulations sont intimement liées à la personnalité des individus.

Saut de Felix Baumgartner

Ainsi les travaux de David Gibas tendraient à montrer que les individus ayant une faible intelligence émotionnelle (c’est-à-dire un faible contrôle de leurs émotions) et une forte régulation narcissique seraient plus enclin à prendre des risques. Le premier point peut paraître surprenant : comme moi, vous pensez sans doute qu’il faut des nerfs d’acier pour sauter en parachute, rouler à 250 km/h ou parier toutes ses économies. Felix Baumgartner vous paraît contrôler sa peur à la perfection quand il se jette dans le vide à 39 km d’altitude ! En fait, ces situations de risque sont une échappatoire, une façon de reprendre le contrôle sur des émotions qui nous submergent, de jauger ses limites pour mieux les cerner. Si l’on est maître de ses émotions et que l’on sait de quoi l’on est capable (ou incapable), nul besoin de se prouver quoi que ce soit en risquant notre vie !
Enfin, David Gibas cherche actuellement à prouver qu’il n’existe pas d’expertise face au risque. Ainsi, le dépouillement de questionnaires effectués en école de commerce permettra de montrer que des étudiants futurs traders ont les mêmes réactions, les mêmes interventions de leurs régulations que la population générale face à un simulateur d’entreprises. De même, le dernier tremblement de terre au Japon a prouvé que, face au risque, personne ne peut se déclarer expert.

C’est en petits groupes que nous avons ensuite eu la chance de visiter quelques salles expérimentales.

Plateforme de forces

Tout d’abord nous entrons dans une salle « plateforme 3D ». Celle-ci est couverte de huit caméras à haute fréquence infrarouge orientées vers une plateforme de forces, sorte de balance en trois dimensions. Un volontaire, montant dessus, voit s’afficher son poids (en Newton) et lorsqu’il bouge la « balance » réfléchit toutes les forces : on en déduit ainsi les accélérations du centre de gravité. Ainsi, lorsqu’’il effectue par exemple un saut, la « balance » enregistre d’abord une poussée négative puis positive au moment où le sujet quitte le sol puis elle retourne à zéro tant que le volontaire est en l’air et enfin elle enregistre les variations du « poids » (et donc des accélérations) à la réception du saut. Ce sont les jauges de contraintes placées dans cette « balance » qui nous renseignent sur les forces exercées sur sa surface. Parallèlement, les caméras haute fréquence peuvent enregistrer la position des articulations du « cobaye » grâce à de petits marqueurs passifs réfléchissants positionnés sur les points stratégiques du corps. Chaque caméra voit le marqueur sur un plan 2D et un logiciel permet de reconstituer la position 3D de celui-ci par triangulation puisque les positions des caméras sont connues. Relier les marqueurs entre eux permet de reconstruire virtuellement un modèle humain et de visualiser les mouvements effectués sur la plateforme. De nombreux calculs sont alors possible (amplitude, vitesse, …). Ce système complexe est utilisé dans de nombreux domaines comme le tir à l’arc ou à la fléchette ou encore le tennis, afin de perfectionner les mouvements, minimiser les efforts et améliorer la technique comme les performances des sportifs. De même, cette équipe travaille également sur le développement de chaussures de sport.

Régiment de cavalerie de la Garde républicaine

À quelques salles de là, nous avons pu rencontrer Agnès Olivier, post-doctorante au laboratoire CIAMS. Après une thèse à Caen sur la contribution des informations visuelles dans le contrôle postural chez le cavalier (dans laquelle elle a montré que la vue n’était pas prépondérante chez les cavaliers experts dans le maintien de l’équilibre sur le cheval), elle étend désormais son étude aux informations sensorielles au sens large, c’est-à-dire la proprioception : oreille interne, sensations haptique (étirement/contraction des muscles) et tactile (le touché). La pièce n’est pas très grande et presque entièrement occupée par JJ1 (pour « Jean-Jacques 1 »), un cheval factice de taille réelle représenté des genoux à la tête. Ce cheval mécanique est équipé de marqueurs réfléchissant identiques à ceux utilisés dans la salle « plateforme 3D » et cerné de caméras infrarouges de capture du mouvement afin d’optimiser la capture des marqueurs du cheval et du cavalier. Il faut faire attention à ne pas les toucher ou les déplacer car leur calibration est précise et difficile ! Agnès Olivier s’en sert afin de visualiser et d’enregistrer comment un cavalier, novice, débutant ou professionnel, se tient sur le cheval et s’adapte à ses mouvements. Elle a eu la chance de collaborer avec la Garde Républicaine afin d’obtenir un groupe de cavaliers professionnels homogène représentant sa population d’expert. Avec toujours pour optique d’améliorer les performances et l’apprentissage, le cavalier est privé d’un ou plusieurs sens (grâce à un casque antibruit, un masque ou de la mousse le séparant du corps du cheval) afin de déterminer l’importance relative de la vue, du touché ou de l’oreille interne par exemples dans le maintien de l’équilibre et la communication avec le cheval. Le cavalier utilise-t-il la même stratégie pour apprendre à monter qu’un enfant pour apprendre à marcher sans tomber ? Nous avons appris que, de façon très surprenante, un enfant ne montre une marche « adulte » que vers 5 ans ! À l’âge adulte, selon certains auteurs, le segment de la tête serait vu comme un point d’ancrage au contrôle de la posture alors que pendant l’enfance ce serait plutôt le segment du bassin. De manière similaire, son hypothèse serait que la tête des cavaliers experts serait elle aussi un point d’ancrage permettant une meilleure stabilité posturale sur le cheval. La tête serait une sorte de « plateforme stable de guidage » contrairement aux débutants qui aurait la tête moins stable. Les mouvements sont malheureusement limités dans cette petite salle mais reproduisent assez bien l’allure d’un vrai cheval. Évidemment, une étude plus complète avec de vrais chevaux et en extérieur serait idéale mais couteuse et difficile à mettre en place : cette étude préliminaire avec un cheval factice mais contrôlable et surtout aux mouvements reproductibles est indispensable pour préparer une expérience en conditions réelles. Et pour améliorer les programmes d’apprentissage ! Nous avons beaucoup apprécié le dynamisme et la motivation d’Agnès Olivier et certains visiteurs, conquis, lui ont laissé leurs coordonnées afin de participer au projet !

Accueillant une des deux seules écoles doctorales du domaine en France, le domaine des STAPS nous a donc bien montré à quel point il pouvait être pluridisciplinaire !